Aventure Convoyages : plus qu'un métier, une passion
DOYLE - Lavezzi 40


Convoyage des Seychelles au Marin, Martinique.

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Les autres convoyages
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Fleur Australe (Tahiti-La Rochelle, 2013)
Doyle (Seychelles-Martinique, 2012)
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Filosof (Transat, 2012)
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Oxygene (Transat, 2011)
Song Saigon (Thailande-Egypte 2010)
Errante (Vancouver-SFR, 2009)
Melina (Vancouver-Horta, 2009)
 
Samedi 27 octobre, Mahé, Seychelles, 11:30, départ...

Voici venu le jour à la fois attendu et -soyons honnêtes- un peu redouté : le jour du départ.
Petit retour en arrière : Les Seychelles sont magnifiques, pour le peu que j'en ai vu. Les Seychellois et Seychelloises sont des gens très accueillants, souriants, qui semblent heureux de vivre. Ca donne (presque) envie de venir s'y installer.Par contre leur administration est à hurler. Exemple : la clearance de sortie. Lorsque nous sommes arrivés (le 15), et lorsque nous avons dit que nous comptions partir le 25, nombreux ont été ceux qui nous ont dit "vous n'y pensez pas, il faut au moins 3 semaines pour obtenir la clearance de sortie, surtout sur un voilier qui a été enregistré comme bateau de location dans le pays. Il faut tout un tas d'autorisations, de papiers signés par les autorités du port, le 1er ministre, etc. Vous n'y arriverez pas..."
C'était sans compter sur ma détermination, mon positivisme et mon envie d'y aller.
Voilà le parcours du combattant, dans l'ordre :

Pour commencer, il faut déposer une demande écrite d'autorisation de quitter le territoire auprès du Capitaine du Port. Déjà, compter quelques jours pour avoir accès à son bureau... Le Capitaine du Port doit de son côté demander l'avis des Coast Guards sur la "situation piraterie" des îles. Il paraît en effet que les pirates ont pris quelques îles Seychelloises comme les Amirantes, Providence et Farquhar comme base arrière desquelles ils lancent leurs opérations dans le Canal du Mozambique. (d'où le côté "un peu redouté" du départ...). Une fois leur avis favorable donné,le Capitaine du Port doit transmettre cet avis favorable au 1er ministre et lui demander l'autorisation d'autoriser le bateau à quitter les eaux territoriales. Comptez une bonne semaine pour obtenir cette autorisation... Avec ce blanc seing du Capitaine, il faut ensuite se rendre à l'Immigration, muni en plus d'une lettre demandant à ce bureau de laisser sortir Untel et Untel, étrangers, avec liste d'équipage (facile, nous ne sommes que deux), et passeports.
Il faut ensuite que l'Immigration fixe un rendez-vous ("pas avant la semaine prochaine") avec les Douanes pour qu'ils viennent viser le bateau.
Entre temps, il faut se rendre au ministère des Finances, pour obtenir un droit d'exportation. Mais pour celà, il faut d'abord passer chez le Chef Comptable du Port Authorities pour obtenir un reçu selon lequel toutes les taxes, "port dues" et "Charter Licence" ont bien été payées. Et bien sur, à chaque fois, le document demandé sera prêt dans 2 ou 3 jours...

Avec ce reçu, il faut passer à la Poste, régler 25 roupies (!) pour obtenir le "Export bill of Sales" demandé par le ministère des Finances pour que soit délivré le permis d'exporter... Il faut ensuite se rendre aux Douanes, montrer une liasse d'une 20taine de feuillets incompréhensibles, pour obtenir la clearance des Douanes. Avec cette clearance des Douanes, retour à l'Immigration pour confirmer le rendez-vous, auquel viennent maintenant se joindre les Coast Guards...

Je vous le dis, un véritable parcours du combattant! Et le meilleur, c'est qu'à chaque fois que le ou la fonctionnaire me disait "revenez demain pour chercher le document tamponné", avec le plus sympathique des sourires, je devais cacher mon agacement, et argumenter en utilisant "les bonnes conditions météo", "l'autorisation des Coast Gards qui risque d'être retirée à tout moment dès que commencera la saison des pirates" (il faudra rajouter ça sur les Instructions Nautiques, il y a trois saisons maintenant, la mousson de Nord Ouest, la mousson de Sud Est, et la Mousson des Pirates).
Bref, en trois jours de forcing, et évitant de justesse la saisie du bateau car je n'avais pas le "bill of entry", donc à leurs yeux le bateau était rentré illégalement depuis 5 ans, donc retards de taxes, amende, intérêts et tout, j'ai obtenu ce fameux rendez-vous avec l'Immigration et les Coast Guards pour récupérer les passeports et obtenir le dernier tampon indispensable...
Et à nouveau, le gag : nous nous pointons samedi à 10 heures comme prévu à la base des Coast Guards dans le nouveau port, et sommes accueillis par des hommes en armes : "Vous êtes rentrés dans une zone militaire interdite". Pas de bonne humeur!
Le rendez-vous était fixé à l'ancienne base des CG, ce que bien sur personne n'avait jugé bon de m'informer... Tourne vire, vire tourne, négocie et en avant toutes vers l'ancienne base. Une ruine... Un quai délabré, des batiments sans toiture pour la plupart, des épaves de bateaux CG, des épaves de "skiffs" saisis aux pirates, et pas trace de nos officiels! Qui bien sur, entretemps, étaient partis... à la nouvelle base! Et nous étions deux bateau à les attendre.
Bref, deux ou trois coups de fil après, passeports en poche et des tampons partout, nous avons pu larquer les amarres et filer au moteur, la faute à pa'd'vent, en faisant le tour de l'île par son nord.
Ce qui nous a permis de voir de magnifiques plages et des "petites cases" de toute beauté.

28/10 La météo est moyenne, nous avançons au moteur, sans vent, sous un ciel parsemé de grains lourds de pluie. Les fichiers Grib pris ce matin annoncent le retour du vent du secteur Est-Sud Est pour demain en milieu de journée.
Les deux petits moteurs de 30 cv nous poussent gaillardement à 6 nds, à 1800 tours/minute, le bateau monte et descend régulierement sur une longue houle d'Est, le soleil vient de se coucher, la routine va pouvoir s'installer.
Au menu de ce soir, bonite marinée au citron/gingembre/soja et un petit riz a l'oignon. Les eaux sont tellement poissonneuses ici qu'il n'a fallu que quelques minutes à la ligne de traine pour accrocher cette petite bestiole. Un poisson par jour, ce sera parfait!
Notre route nous fera laisser les archipels des Amirantes, Providence et Farquhar dans notre Ouest, car bien que ce ne soit pas la route directe, c'est la plus sure semble t'il. Une fois les Farquhar Islands parées dans l'Ouest (d'ici 2 jours normalement) nous tirerons sur le Cap d'Ambre (Nord de Madagascar) avant de descendre sur Nosy Be.
Apres Nosy Be, nous devrions etre sortis de la zone sensible ou sevissent les pirates. Mais négocions d'abord la descente vers Mada, et la partie Nord de cette île. Il paraît qu'un bateau s'est fait pirater à 30 miles de Mada il y a peu.
Je ne suis pas des plus sereins, mon expérience à bord de "Song Saïgon" (nouvelles du 24 mar) sme suffit!
Pour l'instant, faisons avancer le bateau, nous verrons bien le moment venu.
 
29 octobre 2012
10°51' S - 51°03' E
Une longue navigation se décompose en trois temps. Au début, on dit "Déjà tant de miles parcourus". Ensuite, on dit "Encore tant de miles à parcourir". Et pour finir, on dit "Plus que tant de miles!". Pour l'instant, nous ne disons rien. On se contente de profiter du moment...

Le temps aujourd'hui s'est enfin dégagé et nous ne sommes plus arrosés en permanence par ces grains peu venteux mais chargés de tonnes et de tonnes de flotte qu'ils nous déversaient dessus allègrement. Tout à l'intérieur était moite, très humide voire trempé... Nous avons pris des rideaux de pluie, des hallebardes, de l'eau à n'en plus pouvoir. Avec une visibilité réduite à néant sous ces trombes d'eau, ce qui en fait ne nous a pas gênés, au contraire.
Moins nous y voyons, moins on nous voit! Et de toute façon, il n'y a personne dans le coin. "Pas grand monde dans le bourg", dit Philippe.
Dès le lendemain de notre départ, le vent s'est installé à 15-20 nds du Sud Est comme prévu, ce qui ne faisait pas notre affaire du tout vu que nous devons justement descendre vers le Sud. Et un catamaran -surtout avec des voiles de 5 ans... n'est pas fait pour remonter au près. Rapidement, le premier ris a été pris, puis le foc un peu enroulé, puis le deuxième ris, et le foc roulé de moitié.
Dès la première nuit, le ton était donné : mer formée de face, vent de face (enfin, à 60°, de toute façon on ne pouvait pas faire mieux), bateau qui tape, cogne, grince, craque, coupe le sommeil, rend la cuisine difficilement praticable, se fait couvrir d'eau de mer -rapidement rincée par la pluie-, toute cette eau qui s'infltre par quelques capots de pont et hublots (pourtant testés au jet sous pression à Eden Marina...), bref, ambiance scaphandrier.
Comme on dit "les meilleures choses ont une fin" (keskelménerve cette phrase!!), les mauvaises aussi!
Ce cap forcé par le vent nous faisait passer nettement plus près de Farquhar, mais il a gentiment viré à l'Est-Sud Est et nous a permis, toujours au près, de passer à 40 miles de ce repère (toujours à ce qu'il paraît) de pirates.
Nous avons maintenant ces îles redoutées par l'arrière du travers, et depuis ce matin le bateau file à 9-10 nds toujours sous 2 ris et 1/2 genois à 90° des 20 nds de vent établis. Sous un ciel dégagé, clairsemé de petits nuages inoffensifs ici et là. Que du bonheur!
Devant nous, à quelques 100 miles maintenant, le Cap d'Ambre que nous devrons arrondir prudemment avant de descendre sur Nosy Be où une escale technique s'impose.
Il y a quelques fuites à réparer (notemment une importante dans le compartiment moteur tribord), quelques problèmes électriques à régler (le guindeau s'est mis en marche à minuit, dévidant la chaine d'ancre! Heureusement l'ancre était solidement amarrée et ce court circuit n'aura eu d'autre effet que de donner une claque aux batteries déjà fatiguées... et une frousse retrospective à l'équipage, imaginez 60 m de chaine partant à la mer avec une belle ancre au bout, le tout à 8 nds dans la mer formée, en pleine nuit...Brrrrr...), et d'autres bricoles mineures mais qui cumulées rendent la situation "moins confortable".
Bref, tout se passe comme d'habitude en convoyage : un mélange de grands plaisirs et de petits soucis que nous savons gérer.
Quant aux pirates toujours possibles jusqu'à demain soir, no souçaille, drapés de la cape d'invisibilité que nombre d'entre vous nous ont programmée, et aidés par tous les anges gardiens, reprise du "moto" de Song Saigon : Même pas peur, Craint dégun!
 

31 octobre, 06h locales (02:00 TU)
A 15 miles dans le Sud Ouest du Cap d'Ambre, Madagascar.
Le jour se lève sur Madagascar, alors que la lune refuse de se coucher sur l'Afrique. Le spectacle est grandiose, à gauche un lever de soleil mettant en ombres chinoises la terre et quelques nuages, à droite la mer qui scintille sous la pleine lune...
Maintenant que nous sommes à l'abri de cette immense terre, la mer s'est calmée et Doyle déboule à 10-11 nds réguliers, sans les chocs et embardées qui ont été notre lot quotidien depuis 48 heures.
Lorsque nous avons laissé l'îlot de Farquhar à une quarantaine de miles dans notre Ouest, nous avons pu abattre de 30° et cela a fait toute la différence. Laché à 100°/110° du vent, le bateau a accéléré et nous avons régulièrement "tapé les 12 nds", montant parfois jusqu'à 14 nds, toujours sous 2 ris et 50% de genois. La mer, assez formée, innondait régulièrement le pont et les chocs sous la nacelle et sur les "baies vitrées" du carré étaient des plus impressionnants.
Maintenant c'est le "grand calme", nous descendons sur Nosy Be au grand portant avec toujours 20 nds de vent apparent. Cela ne devrait pas durer (d'après Grib et instructions nautiques...) et les moteurs devront sans doute reprendre du service...
Ca n'a duré que la matinée, mais à une moyenne de 14 nds. Pointe à 19.6 nds enregistrée par Philippe. Ca promet :-)

Nous avons jeté l'ancre le 31 octobre à 20:00 locales à Baie du Cratère dans le sud de Nosy Be. Joli run d'essai.
Demain, nous irons voir à terre ce qu'il s'y passe. Pour l'instant c'est la nuit noire, la lune n'est même pas encore là. Nous sommes au milieu du mouillage, un peu en retrait, derrière les premiers bateaux que nous avons repéré. Tout va bien, bonne nuit.


De Nosy Be à Richards Bay, South Africa
Départ lundi 5 novembre, 09:00 locales soit 06:00n TU

Grosse pétole, nous avançons au moteur, parfois avec les voiles, parfois sans... C'et prévu durer jusqu'au 7 dans la journée. Pas top, mais on fait des miles...
Le ton est donné en début d'après-midi. Enfin, le ton...
Une coryphène de 1.30 m et 13.5 kg mesurés - pesés s'est mangé le petit leurre en plastique rouge. Ca ne pardonne pas, petit poisson... Surtout que nous avons 600 m de ligne sur le moulinet. Alors vas-y, tu veux tirer? Tire. Y'a de la marge. Tu vas bien finir par te fatiguer. Et nous par te remonter.
Nous ne faisons pas de la pêche sportive, non. Lorsque le poisson tape, il doit monter à bord. Et c'est ce qu'il s'est passé. La dorade coryphène s'est pris le gorgeon de rhum “special fish-killer”, et elle s'est endormie tranquillement dans un bon coma éthylique.
A cette occasion, nous avons ralenti les moteurs, et c'est le moment qu'a choisi le moteur tribord pour se mettre en alarme. Comme on ne voit pas le cadran et les indications qu'il donne (complètement opaque, le truc...), impossible de savoir à quoi correspond cette alarme. Surchauffe? Faute de débit de l'alternateur à bas régime?
Magnifique coucher de soleil, et quelques heures après, le lever de lune. Entre les deux, un festival d'éclairs impressionnants zébrant le ciel au loin dans d'énormes cumulus.
Nous avons avancé toute la nuit sous voiles et moteur babord à 1800 tours/minute, en nous trainant à 3 ou 4 nds car nous rencontrons un courant contraire, le contre courant du courant du Mozambique. Lequel courant j'aimerais bien attraper au plus vite!

06 novembre, 12:22 locales soit 09:00 TU
Position 14°30.48' S - 46° 08.08' E
(à ce stade, les dixièmes de minutes, on les oubliera vite...)
Après une série de manoeuvres, de réglages divers et variés, et même d'une tentative de porter le spinacker, nous avançons à nouveau tout doucement, à 5 ou 6 nds, mais sur les deux moteurs maintenant. Un petit tour sur le moteur Tribord ne m'as pas permis de déceler quoi que ce soit. Il y a du liquide de refroidissement, sa pompe a l'air de fonctionner, son refroidissement se fait correctement à l'eau de mer, l'alternateur débite correctement... Et le moteur tourne depuis 2 heures, et pas d'alarme. Pas de raison que ça change!
Un courant contraire nous gène et ralentit notre progression. Il faut soit rester plus près de la côte Malgache pour profiter des brises thermiques, mais avec ce contre courant, soit traverser vers le Mozambique et aller chercher le courant du même nom qui nous porterait vers le sud.
Dilemne...

7 novembre, 09:00 locales soit 06:00 TU
Position 15°38’ S - 44°12’ E
. Cap 250°, sur un moteur, zéro voiles...
Quelle chaleur... Seulement 9 h du matin et le soleil cogne sévère...
Luxe au petit matin : arrêt moteur, plouf dans l’eau 30 secondes (pour moi, ça n’a pas du dépasser ça!!), et back on the road.

Grosse pétole, moins de 2 nds de vent apparent. Mer qui passe d’huile à “huile agitée”, et retour à huile figée.
Par contre, tous les jours depuis le départ, de 16:00 à minuit, 10-15 nds à 70° du vent, vitesse moyenne 8/9 nds sur une mer plate, un régal. Le bateau qui glisse sans un bruit et sans bouger ou presque, comme naviguant dans du coton noir...
Couchers et levers de soleil somptueux, et encore un peu de lune entre les deux.
Le vent devrait revenir le 08 en fin de journée, du Sud d’abord, puis virant à l’E- Sud Est. Je n’attends que ça!
D’ici là, on va jouer avec les thermiques, et le moteur babord.
Le tribord est en surchauffe au bout de quelques heures. Facile à réparer mais nous n’avons pas les joints à bord (échangeur de température eau de mer/liquide de refroidissement colmaté). Il aurait suffit que j’achète de la pate à joint à trois balles!! Débutant, va!

8 novembre, 09:00 locales soit 06:00 TU
Position 17°08' S - 42°31' E
soit à quelques miles de l'île française de Juan de Nova.
L'ile nous est apparue vers 04:30 avec son phare qui nous attirait comme la lampe attire la luciole. Mais nous, nous savons, à la différence de la luciole... Nous n'irons pas nous fracasser sur le verre de l'ampoule.
Nous prenons contact avec la base de Juan de Nova, et c'est tout d'abord un militaire puis un gendarme qui nous répondent. Peu accueillants, ils me soumettent à la question, interrogatoire en règle : nom du bateau, composition de l'équipage, d'où on vient, où on va, quel jour sommes nous partis, quel jour pensons nous arriver...
Alors à mon tour de poser des questions, votre présence ici, c'est militaire stricto sensu, ou c'est une base de recherche météo, scientifique ou quelque chose comme ça?
- Je ne peux pas répondre à cette question...
-(Rire) Bon, vous avez une météo récente?
-Ah non, on n'a pas de météo récente
-Ah bon, autre question, vous avez un AIS? Vous nous voyez sur votre écran?
- C'est quoi un AIS?
- ...
Je reste silencieux quelques secondes pour digérer, et je lui dis ce qu'est un AIS. (une chose est sure, c'est que ces gars là ne bossent pas dans les transmissions, sinon ils sauraient...)
- "Doyle", de Juan de Nova, vous connaissez les règles sur cette île : défense d'accoster, de mouiller, de s'arrêter, de se baigner, de pêcher.
-Oui, d'ailleurs ça tombe bien, on n'avait pas l'intention de le faire. Merci, bonne journée à tous, je repasse 16.
Le tout, je le rappelle, sur un ton peu cordial.
Mais ces gars là n'en ont pas fini avec nous! Genre deux heures plus tard, je prépare le message que j'envoie quotidiennement au propriétaire du voilier pour le tenir au courant de notre progression. Et je m'aperçois que je n'ai plus d'unités sur l'Iridium!! Mais comment ais-je pu passer à côté d'un truc aussi important, recharger les unités sur ce téléphone satellitaire!?!? Résultat, je ne peux plus envoyer de nouvelles à la terre, et nous ne pourrons plus retirer les fichiers météo qui sont quand même bien utiles dans la région. Alors pour la météo, ce n'est pas grave, il y a un baromètre à bord, j'ai une idée de l'évolution du temps grâce aux fichiers de la région que je consulte depuis plus d'un mois, mais pour les nouvelles, ça, c'est un problème. J'en connais qui vont flipper grave, et ça, je peux pas laisser faire...
J'ai donc décidé de faire demi tour, et de revenir sur Juan de Nova pour leur demander de passer l'info à Aix en Provence pour qu'elle soit relayée ensuite à untel et untel. 20 miles à remonter contre le vent, 20 miles à revenir contre le courant à notre position actuelle... Au total, nous aurons perdu 8 heures sur ce coup, plus la progression qui aurait été la notre si nous n'avions pas fait demi tour, bref, un petit total de 16 heures de perdues. Les nerfs!
Les gars de Juan de Nova ont mis très longtemps à répondre à mes appels radio, mais une fois le contact fait et la situation expliquée, un échange d'email et de n° de téléphone plus tard on m'assurait que la commission serait faite.
J'espère qu'ils l'ont fait, je n'ose pas imaginer l'inquiétude de ceux qui ont été habitués depuis notre départ des Seychelles à recevoir un petit mot tous les jours à la même heure.
C'est l'inconvénient de tels accords. Tant que le téléphone fonctionne, c'est parfait. Dès lors qu'il ne fonctionne plus, c'est l'inquiétude à terre, et qui sait, le déclenchement possible de recherches qui n'auraient pas lieu d'être.
Va falloir que je pense à une parade...

11 novembre, 09:00 locales
Position 21°00' S - 37°17' E.

Cap vrai 225°, vitesse sur le fond entre 7 et 9 nds, vent de Sud à Sud Est, 15-20 nds apparents, rafales à 25-28 nds. Mer formée, courte, désagréable pour le bateau et l'équipage.

Nous portons deux ris dans la grand voile et un demi genois déroulé.
Nous pensons tous les deux que Doyle a enfin touché le fameux courant du Mozambique. Ben, on est allé le chercher! Nous sommes à une centaine de miles dans l'Est de la route directe!
L'inconnue à ce stade est la météo... Privés des fichiers Grib que l'Iridium me donnait au quotidien, nous avançons "en aveugle". Le vent de face me tire soucis car il nous rapproche de la côte d'une façon que je n'aime pas. Cette côte du Mozambique est inhospitalière, et les fonds remontent de plus de 2000 m. à moins de 50 m.à une vingtaine de miles de la côte. Et tous les marins savent que la mer, lorsqu'elle rencontre une marche comme celle là, se creuse, la vague devient plus abrupte, et la situation peut mal tourner si un problème quel qu'il soit devait se présenter. Il n'est jamais bon d'être en difficulté, encore moins au vent d'une côte sur laquelle tout un océan vient se jeter.
Nous devons impérativement arriver à lofer de 10-15° pour passer le Cap Inhambane à distance respectable. Sinon, il faudra tirer un "contre-bord" d'une dizaine d'heures, et on a assez pris de retard comme ça avec toute cette pétole et ce satané demi tour sur Juan de Nova...
Vu un magnifique albatros au petit matin, immense, majestueux, sans un battement d'aile, planant efficacement devant nous, derrière, sur les côtés, à nous observer. A mon avis il se dit la même chose que moi : "Pas possible, j'étais persuadé qu'on ne voyait ces bestioles que beaucoup plus au Nord..." (moi je me dis "au Sud", persuadé que j'étais qu'on ne les voyait que dans les 40èmes).
Encore une "première" à l'occasion de ce convoyage.

 
12 novembre, 09:00 locales
Position 23° 43' S - 36°00' E

Le vent a eu la bonne idée d'adonner, et nous avons pu passer ce cap sans devoir tirer de bord. Soulagement!
Le courant va et vient, au gré des marées, alors que je pensais qu'il s'agissait de "courant continu". Et bien non, c'est du courant alternatif. Un coup je te pousse (fort) un coup je te freine (pas trop fort).
Toujours ciel éclatant, vent portant depuis hier soir, mais faible.
Encore un thon au bout de la ligne, 4 kg découpés en filets, salés et mis à sécher moins d'une heure après avoir mis la ligne dans l'eau. Record de vitesse de prise!
Encore un beau spécimen d'albatros, et quelques dauphins pour commencer la journée. Good.
Nous devrions être à Richards Bay après demain en fin de matinée.
 

14 novembre, Richards Bay, South Africa (Richards Bay est à peine en dessous de la frontière qui sépare le Mozambique de l'Afrique du Sud)

Et voilà, "check!". A 14:30 locales.
Nous avons trouvé une place le long du quai à Richards Bay, dans le petit coin de Tuzi Gazi. D'autres voiliers sont partis alors que nous arrivions, cela tombe bien sinon nous n'aurions pas eu de place! Au menu de cette escale que j'espère brève : réparation du moteur tribord et de son problème de surchauffe, un peu de bricolage sur le pont/le gréément, les pleins de fuel et d'eau.

Une fois prêts, nous devrons attendre la bonne météo qui nous permettra de rallier d'une traite Richards Bay à Capetown. Pour ça, il me faut une fenètre météo de 6 jours sans vent d'Ouest ni Sud Ouest. Ou de 4 jours, et dans ce cas il faudra s'arrêter à East London...
Le prochain front est annoncé pour le 17, nous pourrions donc partir le 18 au matin pour faire ces 870 miles nautiques qui conclueront la première partie de ce convoyage riche en "premières".
 
18 novembre, 09:00 locales soit 07:00 TU, amares larguées, on "déquaite".
Bye bye Richards Bay, sans regrets. RAS.
C'est reparti pour un tour de manège. Les fichiers grib nous annoncent un vent portant jusqu'au 20 en fin de journée, largement le temps d'arriver à East London. Nous partons accompagnés ou accompagnant "Schwalbe", magnifique côtre aurique de 1920 que Charlie, Irlandais pure bière, maintient à merveille. Nous devrions faire route ensemble au moins jusqu'à East London. Enfin, si nous freinons pour l'attendre!
19 novembre, 09:00 locales
Position 31°13' S - 30°20' E
Le début a été rude... Peu de vent, et une mer incompréhensible. Trois systèmes de houle qui se croisent, se mèlent, s'interpellent, se heurtent, se séparent et repartent à l'assaut. Lorsqu'on voit l'état de la mer, et surtout l'amplitude de la houle après ce petit coup de vent d'Ouest de vendredi, on imagine aisément la taille monstrueuse des mers qui peuvent se former dans la région après quelques jours de tempête d'Ouest - SudOuest... Les vagues que nous gravissons lentement et dévalons "tout shuss" sont impressionantes.
"Schwalbe", qui n'est qu'à un demi mile derrière nous disparaît complètement avant de réapparaître semblant vouloir bondir dans les airs avant de redisparaître à nouveau.
En guise de bienvenue au départ hier matin, la visite d'une petite famille de dauphins, 3 adultes et un petit, qui sont passés tranquillement à côté de Doyle. Peu après c'était une baleine et son veau qui soufflaient à quelques dizaines de metres sous notre vent.
Nous avons piqué plein sud, pour aller chercher les fonds de 200 m à partir desquels le courant des Aiguilles se fait sentir. Comme il porte à l'Ouest, je veux en profiter au maximum, et le plus vite possible. Donc plein sud alors que la route directe est sud-ouest. Et bingo, deux heures et la monnaie après, le premier noeud de courant se fait sentir.
Depuis, au fur et à mesure que nous approchons d'East London -en fait depuis que nous avons laissé Durban par le travers, à l'Ouest- ce courant ne cesse d'augmenter.
A l'heure où j'écris ces lignes, nous avançons à 12 nds sur le fond, sous génois seul, avec 20 noeuds de vent réel. Très appréciable. De temps en temps, le bateau accélère jusqu'à 14 nds en descendant la vague. On a l'impression d'être sur un Hobie Cat.
Le temps, ce matin gris, maussade et pleurant quelques larmes de dépit a changé d'humeur et le soleil s'est remis au boulot. Il n'empêche que la température s'est très nettement refroidie. Cette nuit, jeans, sweat-shirt et polaire. Et chaussures. C'est dire!
Trompé par la mauvaise lumière, un oiseau du coin s'est attrapé notre leure juste à la base du cou. Nous avons arrêté le bateau autant que faire se pouvait pour le remonter à bord et lui prodiguer les premiers soins, solidarité en mer exige. Heureusement, quelques coups de becs et de griffes plus tard, avec forces cris de reproches et insultes à notre égard, il s'est envolé voir ailleurs si les poulpes roses étaient moins piquants.
(ce n'était pas lui, mais sans doute un de ses potes --->
A ce train là, pas d'arrêt à East London, c'est direct Port Elizabeth, 150 miles plus loin. Mais faut pas trainer en route, le fichier grib de ce matin annonce 20 nds de Sud Ouest (le redouté Sud Ouest!) pour le 20 en fin de journée. Donc faut continuer à ce rythme. Et je ne peux pas envoyer la GV ou alors il faudrait partir à 130° du vent, donc à 50° en dehors de la route directe puisque nous sommes maintenant plein vent arrière...
Et au lieu de ça, Charlie me demande de l'attendre. Il n'a pas de pilote automatique, et pas de lumière sur son compas. Donc la nuit, il apprécie la présence du feu en tête de mat de Doyle pour se guider dessus...
Ok mon gars, mais faut speeder! Envoie un peu de toile sur l'avant, au moins. Faut dire qu'il est seul avec sa femme, et un équipier inexpérimenté. Pour mener un côtre aurique de cette taille, faut des bras. Et il en manque. Donc ce sont les bras mécaniques qui travaillent, 150 cv ça aide...
 
20 novembre, East London 33°01.4' S - 27°53.8' E
J'espérais arriver à Port Elizabeth à temps, mais les dernières infos météo que nous avons reçues nous ont fait changer de programme. Nous sommes arrivés à 05:00 dans ce petit port de commerce dont nous voyions les feux depuis un moment déjà. Empruntant la bretelle de sortie d'autoroute, nous avons laissé cette belle veine de courant pour aller chercher ce port. Dans la lumière du petit matin, le fond du bassin semble accueillant, et plusieurs voiliers sont déjà au mouillage devant le "Buffalo River Yacht Club". La plupart arrivent comme nous de Richards Bay.
Les gérants du Y.C. avertis de l'arrivée de ce groupe de plaisanciers ouvrent leur bar et leur restaurant pour la circonstance, bien que le mardi soit leur jour "off". On ne rate pas l'occasion de faire des affaires...
Et tout le monde de se retrouver dans une ambiance très sympa d'attente de l'apocalypse annoncée. Le mauvais temps ne rentrera en fait que dans la nuit, et la journée du 21. Nous regrettons presque de ne pas avoir continué sur Port Elizabeth...
 
21 novembre, 20:00
La météo nous offre une petite fenêtre de 36 heures que nous allons mettre à profit pour rallier Mossel Bay, a 270 miles d'East London.
Nous sommes partis à 20:30 locales, sous un crachin breton pur beurre, ciel bas, vent faible de SO qui doit tourner 15 nds E-NE d ici quelques heures, avant de repasser SW force 6 a 7 le 23 en milieu de journee. Juste juste le temps d arriver à Mossel Bay, Inch Allah... Si nous n'y arrivons pas, ce sera escale à Knysna (prononcer “naysnâ”...) 45 miles avant Mossel Bay,
mais le problème c’est que Knysna n'offre qu'un mouillage, et que le prochain arrêt durera au moins 48 heures sinon 72. Donc à quai, ce serait mieux pour les petits touristes que nous sommes...
Une partie des voiliers qui s'étaient abrités comme nous (une douzaine ancrés dans le port de East London) ont quitté le port en même temps que nous, ou à peine plus tôt. Nous sommes maintenant 4 à avancer de conserve, du monocoque 15m au catamaran 16m, et bien sur le vieux "Schwalbe" qui nous suit comme notre ombre, content d'avoir notre feu de tête de mat comme guide, lui qui n'a ni pilote automatique, ni éclairage sur son compas de route (comment fait on pour négliger un poste aussi important que la lumière sur le compas de route, ça, je comprends pas...) et un GPS capricieux.
22 novembre, 19:00 locales
Position 34°30.5' S - 24°53.2' E
Le beau temps est revenu et le soleil sêche la pluie de la nuit depuis la mi-journée. Pas de vent, longue houle résiduelle de Sud Ouest, le bateau monte et descend au rythme de l'impressionnante respiration de l'Océan. Nous avons retrouvé notre fidèle courant et la moyenne -au moteur, parfois appuyé des voiles- reste bonne.
Nous avons eu droit aujourd'hui à un nouveau festival sur l'eau. Imposantes baleines, majestueux albatros, magnifiques fous de bassan avec leur tête jaune, corps blanc et l'extrémité des ailes nettement marquées d'une pointe de noir aiguisé qui efleure à peine la mer dans des virages sans fin.
Et un coucher de soleil d'un autre monde. Photo garantie couleurs naturelles, pas retouchée sur Photoshop...
En général, un ciel comme ça, avec des longs cheveux d'anges signes de vent en altitude, une chute notable du baromètre (le "sorcier" a perdu 5 points en 8 heures...) et l'arrivée d'une longue et ample houle de Sud Ouest : attention, mauvais temps en prévision.
De fait, les fichiers grib récupérés à 18:00 annoncent l'arrivée d'une perturbation et de vents contraires (SO) de force 7 à 8.
J'espère que la jetée de Mossel Bay permettra d'aller voir l'état de la mer. Ca doit être quelque chose...

23 novembre, 15:00, au mouillage à Mossel Bay.
Rien à dire de cette journée, si ce n'est ceci:

Exceptionnel, non? Nous avons eu droit à un show digne du meilleur Aqualand, gratuit et pendant 3 heures! Absolument magique. Ca se passe de commentaires.
Et une fois au mouillage, dauphins et phoques qui s'ébatent autour du bateau, pas mal non plus...
Car nous sommes au mouillage. Une fois arrivés devant Mossel Bay et après les avoir contactés comme cela semble l'usage dans tous les ports d'Afrique du Sud, les Port Authorities nous demandent de jeter l'ancre dans la baie car le port est plein des pêcheurs qui sont venus eux aussi s'abriter du vent qui s'annonce. Bon, dommage, je nous aurais bien mis à quai pour qu'on puisse aller se faire un petit restaurant...
Et comme prévu, le vent est rentré pendant la nuit, entrecoupant notre sommeil de périodes de réveil et de vérification de la bonne tenue de l'ancre. Qui a tenu jusqu'à ce que le vent touche force 6 à 7 avant de décrocher et nous laisser déraper sur une bonne centaine de metres.
Je décide alors de m'imposer dans le port, je ne vais pas passer 48 heures à faire des quarts de mouillage! Et contre les indications du port, nous avons trouvé un petit bout de quai où nous amarrer, et nous avons été rejoints quelques minutes après par un autre voilier qui est venu se mettre à couple de Doyle.
Quelques minutes après c'était au tour de Schwalbe de venir se mettre à couple d'un pêcheur, à quelques metres de nous.Tout le monde avait fini par déraper dans les rafales à 50 nds...
Et ce vent a soufflé en tempète pendant 48 heures, et ce ventl en a profité pour mettre à mal trois pare battages (éclatés) et une aussière (coupée par le ragage du quai à marée basse).
C'est bon d'être au port dans ces cas là... quand on n'est pas pêcheur!

 
27 novembre, Mossel Bay - Hout Bay
Passage du cap de B.E., arrivée tempête, 4 nds embrayés marche arrière ds le port
 
05 décembre - Dernière étape : Capetown - Martinique
pétole dans l'atlantique, oiseau bouffé par phoque, navigation sur papier alu, rationnement, escale Fernando, concert, Cayenne pour le gaz, escale Union, arrivée Mtq
 
 
 
 


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